Depuis sa création en 1997, le prix Antoine Marin, en collaboration avec la ville d’Arcueil, a accueilli de très nombreux jeunes créateurs. Cette aide à la jeune création est devenue un rendez-vous incontournable, connu bien au-delà des frontières de la ville.
Chaque jeune créateur est parrainé par un artiste confirmé. A l’issue de la concertation du jury, trois prix sont remis à ces jeunes artistes de moins de 40 ans lors d’un vernissage à la galerie Julio Gonzalez d’Arcueil.
Le nom de l’entreprise Marin est bien connu de nos lecteurs. En effet, cela fait plus de 15 ans que la S.A. Marin est un de nos plus fidèles annonceurs.
Pour mémoire, voici la première « pub » qui a été faite dans les Chroniques du Val-de-Bièvre.
Qui a donc été Antoine Marin au nom duquel aujourd’hui on aide des jeunes talents, des artistes qui sont ainsi propulsés dans leur démarche artistique ?
Antonio Marin est né en 1928 à Santa Maria de Figaredo, près d’Oviedo, en Asturies. Son père, Venancio, est mineur-boute-feu. Sa mère, Teresa, s’occupe de ses trois autres enfants. Elle décède peu de temps après la naissance d’Antonio.
En 1937, Antonio est orphelin. Il est emmené à Bordeaux par la Croix Rouge. Là, le responsable du patronage laïque d’Arcueil le récupère pour le prendre en charge. Antonio disait « avoir fait la traversée sur le même bateau que René-Louis Laforgue », né la même année que lui à San Sébastian.
Antonio a 8 ans. « C’est l’époque où les journaux français clament qu’il faut mettre un frein à l’invasion de la racaille rouge qui déferle d’outre-Pyrénées ».
Que s’est-il donc passé en Espagne dans ce qui est aujourd’hui la communauté autonome d’Asturies ?
« Le 6 octobre 1934, une grève générale pour protester contre le gouvernement, dégénère en de graves affrontements. L'armée est envoyée pour réprimer la révolte. Les ouvriers asturiens portent la grève plus loin et font une vraie révolution, appelée la « Commune asturienne ». Isolés, ils sont finalement défaits. Le général Franco avait décidé de planifier les opérations militaires comme dans une guerre coloniale. La répression est terrible : 3 000 morts, 7 000 blessés, 30 000 emprisonnés (beaucoup d’entre eux furent aussi torturés) et plusieurs milliers mis au chômage. Sur les 40 condamnations à mort prononcées, 4 furent effectivement exécutées. »[1]
Le père d’Antonio, Venancio, est porté disparu.
Les élections de Février 1936 marquent la victoire du Front populaire en Espagne. Mais, en Juillet, le coup d’état militaire ruine tous les espoirs du peuple, la guerre civile s’installe.
C’est dans ce contexte qu’Antonio, devenu orphelin, arrive à Arcueil qu’il n’a jamais quitté.
En 1937, la municipalité communiste d’Arcueil[2] accueille d’abord 18 enfants de républicains espagnols. Elle prévoit d’en recevoir de nouveau. Elle lance un appel aux Arcueillais pour qu’ils prennent en charge ces enfants chez eux. Elle leur fait passer une visite médicale, des enfants du patronage laïc se proposent de parrainer les enfants espagnols. Pour Antoine, cette solidarité d’accueil envers des enfants restait « l’une des plus belles valeurs humaines » qu’il ait connues. Il le dit à François Maspero. [3]
Il a passé toute son enfance, la guerre 39/45 dans la rue de la Vallée[4], où « s’entassaient des bicoques en bois et en parpaing. Ces rues, c’était la misère, la faim, la boue, l’humidité, le froid ».
La veuve qui l’a recueilli, le faisait pour quelques aides octroyées par la mairie, elle l’élevait avec son fils. A Gentilly, une sœur d’Antoine fut accueillie dans une famille plus chaleureuse.
Il va à l’école primaire Jules Ferry. Là, le directeur de l’école le remarque, il est le premier de la classe. Il passe brillamment son Certificat d’études primaires alors que, peu d’années auparavant, il ne parlait pas français. A l’école, c’était un leader qui rêvait d’avoir « sa bande », raconte un ancien camarade d’école.
Mais lorsqu’il a 14 ans, pendant la guerre, il doit travailler.
Dans sa rue, il y a l’atelier-entrepôt d’une entreprise parisienne, la Maison Gattegno, atelier spécialisé qui vend des couleurs, des pinceaux, des toiles et des chevalets. Antoine y est embauché comme apprenti.
« J’emmenais les châssis, les cadres et les chevalets dans les magasins de Montparnasse en tirant une voiture à bras et je travaillais le bois »[5]
. [6]
Antoine veut s’en sortir. « Quand on sort de la misère, on sait mieux se battre que les autres, on connaît la valeur des choses et de l’argent ».
Au retour de son service militaire en Tunisie, il retrouve une autre sœur, de six ans son aînée, qui vient d’arriver d’Espagne où elle était restée. Elle s’était déjà occupée de lui lors du décès de leur mère.
Son ancien patron lui loue l’atelier de la rue de la Vallée. Dès 1947, il crée sa propre affaire, il fabrique des cadres puis « la Maison Marin » propose du matériel pour les artistes peintres. Dans les années 70, il achète le local.
Devenu artisan, chef d’entreprise, Antoine Marin connaît, aime et collectionne les œuvres de ses amis, les artistes. Ses amis, sa nièce, parlent d’un homme à « fort charisme », imposant par son physique : «il pouvait apostropher de la même façon un clochard dans la rue ou un ministre »,
« Il pouvait ramener le premier chez lui, il donnait un surnom à tout le monde », « c’était un laïc, profondément républicain ».
« Il m’impressionnait beaucoup »,
« Enfant j’allais à l’atelier avec lui pour terminer l’assemblage des cadres ou pour les livrer » explique, Martine, sa nièce. [7]
Après le décès du Général Franco en 1975, il retourne à Santa Maria de Figaredo.
Son village natal lui semble « petit et noir », il ne correspond pas à ses souvenirs d’enfant de huit ans.
En 1989, lorsque François Maspero le rencontre, il a déménagé du premier entrepôt qu’il occupait pour s’installer de l’autre côté de la vallée de la Bièvre, entre la jonction des deux branches de l’autoroute, dans la ZAC du Ricardo.
L’enfant des Asturies affirmait que « la misère qu’il a affrontée était bien peu de choses au regard de toutes les misères du monde ».Il se souvenait du temps où il allait chercher le lait à la ferme. « Fermes et maraîchers ont disparu, les carrières aussi et les taudis ont été remplacés par des HLM. Quand on voit comment vivaient les gens, il n’y a pas d’hésitation possible ». Antoine remerciait la commune d’Arcueil pour les logements créés pour ses habitants démunis.
Il hantait les salons et galeries, il connaissait de nombreux peintres renommés comme Erro, Debré, Garouste, Hartung, Arroyo, Soulages et bien d’autres.
De nombreux peintres arcueillais aussi : Velikovic, Jean-Pierre Pincemin, Antonio Segui.
Ils lui rendent hommage.
Ils l’appellent « Parrain » ou « Marrain »
ou le « chassissier ». [8]
Il décède en 1995.
Philippe Marin, Daniel Breuiller, Maire d’Arcueil
Son fils, Philippe, continue et développe l’entreprise. Il a créé le prix Antoine Marin en souvenir de son père « qui lui a tout donné ». « Je rends hommage à mon père, j’aide les jeunes », dit-il.
En 2007, la municipalité d’Arcueil donne le nom d’Antoine Marin à une rue dans le nouvel ensemble de la Vache Noire.
Gardons le souvenir du petit orphelin des Asturies qui fut accueilli chez nous, à Arcueil, et y a réussi sa vie.
Saurions-nous le permettre aujourd’hui ?
Marcel BREILLOT
[1] http://fr.wikipedia.org/wiki/Asturies
[2] Archives du Val-de-Marne, Front Rouge du 4 septembre 1937
[3] François Maspero, Les Passagers du Roissy Express, Le Seuil, 1990
[4] Aujourd’hui, rue du Général de Gaulle
[5] Arcueil notre cité, N°28, septembre 1991
[6] A. Marin par Ernest Pignon-Ernest, 2002.
[7] A. Marin par Jean Olivier Hucleux, 1999
[8] Portrait d’A. Marin, Robert Combas, 1999